Brigitte Beaulé et l’appel de Dieu

Le texte qui suit est issu d’un article de Denis Gratton paru dans le journal Le Droit le samedi 4 décembre 2010. Pour télécharger l’article au format PDF, cliquez ici.

Sœur Marie-du-Bon-Pasteur

Brigitte Beaulé était une adolescente comme toutes les autres. Elle fréquentait une polyvalente dans sa ville natale de Québec, elle avait des copains, des copines, elle se cherchait et tout l’avenir s’ouvrait devant elle. Puis à l’âge de 18 ans, elle a reçu, dit-elle, l’appel. L’appel de Dieu. «J’ai senti l’appel, raconte-t-elle. J’ai vraiment senti l’appel. Ce n’était pas un appel au téléphone. Mais c’était assez fort pour orienter toute ma vie.» Le 21 novembre 1981, Brigitte Beaulé est devenue Sœur Marie du-Bon-Pasteur, Servante de Jésus-Marie. Aujourd’hui âgée de 47 ans, elle est la Mère supérieure, «la Mère servante générale», précise-t-elle, des Servantes de Jésus-Marie, ces sœurs cloîtrées qui résident dans leur monastère situé sur la rue Laurier, secteur Hull, voisin du parc Jacques-Cartier. Qui sont ces dames, ces sœurs, qui passent leur vie entière derrière des grilles? Elles sont une soixantaine à vivre dans cette communauté cloîtrée et fermée au reste de la civilisation. La moyenne d’âge de ces sœurs oscille autour des soixante-quinze ans. La plus vieille est âgée de 102 ans, la plus jeune compte 43 printemps. Elles ne sortent jamais, sauf pour des raisons médicales. Elles doivent se contenter d’un parloir grillagé pour voir leurs proches. Elles fabriquent plus de 600000 hosties par mois et elles prient sans relâche pour le monde exté- rieur et la paix sur cette Terre. Elles ont renoncé aux enfants, aux voyages, aux hommes, aux loisirs. Bref, elles ont renoncé à la liberté, telle qu’on la conçoit, pour se donner à Dieu. Et curieusement, elles semblent comblées, heureuses de leur choix, de leur destin, de leur vie. Heureuses d’avoir répondu à l’appel de Dieu. Elles ont toutes un sourire d’ange, une voix céleste, une gentillesse sans borne. On peut presque voir et toucher leur âme.

 

Une vie cloîtrée

Brigit… pardon, Sœur Marie-duBon-Pasteur prend place derrière la grille du parloir. Elle soulève une partie de la grille pour qu’on puisse se parler dans le blanc des yeux plutôt qu’à travers le grillage. Elle est accompagnée de son «adjointe», Sœur Géraldine. Et elle a déjà deviné ma première question: comment faites-vous pour vivre toute votre vie cloîtrée, en retrait du monde extérieur, de la civilisation? «On ne serait pas capable si l’appel n’était pas aussi fort, répondelle. De vivre sa vie cloîtrée est très difficile à comprendre pour quelqu’un qui ne le vit pas. J’ai déjà essayé de l’expliquer à un de mes oncles qui me posait la même question. Je lui ai dit: «mon oncle, pourquoi avez-vous épousé ma tante plutôt que la voisine ? La voisine est aussi fine et aussi belle». Donc c’est un peu ça. Ça ne s’explique pas. Mais c’est quelque chose de très fort.

— Et quelle a été la réaction de vos parents lorsque vous leurs avez annoncé, à l’âge de 18 ans, que vous vous joigniez à cette congrégation?
— Quand ma mère a vu les grilles, elle m’a demandée : «qu’est-ce que tu me fais là ? », répond-elle en riant. Et au début, à chaque fois que mes parents venaient me visiter, ils me demandaient: « t’en viens-tu là ? ». Je répondais non, que j’étais heureuse ici. Ce n’est que quelques années plus tard que ma mère a réalisé que c’était ma place. Et maintenant, elle me dit qu’elle serait malheureuse si je partais d’ici.
— Comment vous tenez-vous au courant du monde extérieur? Par la télévision? Les journaux?
— Nous avons une télévision, mais on ne la regarde presque pas. C’est réglementé. On a un style de vie centré sur la prière. Si on passe notre temps à regarder des images à la télé et à entendre n’importe quoi, comment pourrions-nous arriver ensuite à la prière et être disposées? On regarde la télé à certaines occasions spéciales, comme pour écouter le Saint-Père.
— Donc vous ne regardez pas les matches de hockey?, que je lui demande à la blague.
— Non. Mais on suit les résultats dans LeDroit, répond-elle en riant.
— Donc Sénateurs ou Canadiens?
— Canadiens! s’exclame Sœur Géraldine en riant à son tour.
— Mais même dans le journal, reprend Sœur Marie-du-Bon-Pasteur, on ne lit pas tout. On garde le principal et c’est tout. Pour s’informer. On a suivi, par exemple, le sauvetage des mineurs au Chili. On a regardé ça ensemble sur Internet dans la grande salle. C’était spécial. Et nous nous sommes demandées: comment peut-on faire de belles choses pour certains et, d’un autre côté, faire des affaires épouvantables, comme l’avortement et tout ça?
— Avec le terrorisme, les guerres, les armes nucléaires et le reste, croyez-vous que le monde est devenu fou?
— C’est sûr que lorsqu’on perd nos valeurs, on fait toutes sortes d’affaires qui n’ont pas d’allure.
— Et si on fermait votre monastère demain matin, pourriez-vous retourner vivre en société?
— Ce serait difficile. On entend des échos parfois du monde exté- rieur et on se demande comment vous faites. Tout va à la vitesse de l’éclair. Et quand on doit sortir pour des raisons médicales, on a juste hâte de revenir à la maison. Mais on prie pour vous, pour tout le monde. Nous avions même une sœur qui priait pour la conversion de ben Laden! Et pourquoi pas? Nous sommes tous des enfants de Dieu», conclut-elle en souriant.